15.11.2023
Pour bâtir la ville civique de demain, la priorité aujourd’hui doit être d’investir dans le développement de réseaux de transport public centrés sur l’humain, affirme Neill McClements, Partner (Associé) chez Grimshaw.
L’ouverture de la nouvelle ligne Elizabeth du métro londonien nous a récemment offert un formidable rappel du rôle essentiel que jouent les transports publics dans notre vie quotidienne : en créant du lien entre les populations, en accélérant la croissance de l’économie locale et nationale, et en améliorant la qualité de vie de milliers de personnes grâce à une mobilité saine et active.
Pourtant, malgré les bénéfices établis des politiques d’investissement dans ces infrastructures, la pandémie a mis leur développement en suspens et a fait resurgir un certain nombre de comportements qui vont à l’encontre du vivre-ensemble. C’est ainsi que le lien social s’est érodé et que, du jour au lendemain, des pans entiers de l’économie ont été mis à mal, voire réduits à néant ; autant de difficultés devant lesquelles nos structures sociales, stables jusqu’alors, se sont retrouvées bien démunies.
Face à ces problématiques, notre cheminement vers une ville durable, résiliente et régénérative, dont les transports publics sont une composante intégrante, s’est vu interrompu. Cependant, une évidence s’est imposée : les projets de transports publics que nous proposons doivent être plus ambitieux. Si nous souhaitons concrétiser tous les bénéfices civiques de ces programmes et leur permettre de contribuer pleinement à la création des villes durables du XXIe siècle, ils se doivent d’être de meilleure qualité et plus que jamais centrés sur l’humain.
On entend souvent parler de projets de transport adoptés sur la base de considérations techniques, parce qu’ils permettent par exemple une « réduction des temps de trajet » ou une « augmentation de la capacité », mais ce raisonnement obscurcit en réalité plus largement les bénéfices sociétaux de ces projets. De fait, un bon réseau de transports assure l’accès des populations à l’éducation, à l’emploi, à la santé et au logement. Et c’est justement ce qu’a permis la nouvelle ligne Elizabeth, dont la conception a débuté bien avant que le gouvernement britannique n’affiche son ambition de niveler le pays par le haut avec sa politique du « Levelling Up ».
Les infrastructures de transport permettent en effet de générer de l’emploi et, plus avant, d’améliorer la qualité de l’air et le cadre urbain. Elles peuvent aussi faire tomber les barrières à l’inclusion sociale, ce qui améliore à long terme la santé et le bien-être des populations. Bref, une meilleure connectivité est garante de prospérité.
Au-delà de ces considérations, un système de transport bien pensé joue également un rôle pour assurer l’équité sociale, en encourageant une mobilité active, en contribuant à un cadre de vie inclusif, en concourant à la formation d’une identité locale mieux intégrée et en offrant aux usagers un espace sûr, confortable et accessible.
Ces bénéfices figurent d’ailleurs souvent parmi les motivations premières d’un chantier d’infrastructures. Pourtant, elles ne sont pas toujours exprimées clairement tout au long du cycle de vie du projet. Si ces aspirations étaient placées, dès le début, au centre des réflexions sur l’aménagement des réseaux de transport, les objectifs pourraient ainsi être fixés plus haut, ce qui assurerait encore davantage de bénéfices pour les populations et les territoires.
Pour concrétiser l’ensemble de ces bénéfices sociétaux, il convient aussi d’exploiter le potentiel économique qui accompagne une amélioration de la connectivité. Il s’agit donc de capitaliser sur des mécanismes de financement innovants, qui permettent de soulager les budgets serrés des collectivités et d’utiliser les fonds public à meilleur escient.
Un aspect intéressant, mais peu souvent abordé, des projets pour la ligne Elizabeth et le prolongement de la ligne Northern concerne justement les modèles de financement qui ont permis leur réalisation. Dans le cas du prolongement de la ligne Northern, le coût des travaux a été financé par un prêt d’État, remboursé par une imposition progressive du foncier pour les entreprises établies au sein de la Zone économie locale, auquel se sont ajoutés des équipements à la charge des promoteurs, comme le prévoit la section 106 de la Loi de 1990 sur l’aménagement urbain et rural.
Le projet de la ligne Elizabeth a lui aussi adopté un plan de financement innovant, dans le cadre duquel les contributions des entreprises locales et les bénéfices générés par les futurs usagers couvraient deux tiers des coûts du chantier. Ces modèles de financement et de captation de valeur nous offrent donc un exemple à suivre pour la création d’infrastructures de qualité, qui fédèrent les citoyens tout en épargnant le contribuable.
Ainsi, l’enjeu consiste désormais à trouver des mécanismes pour financer des projets qui bénéficient à la société sans lui faire porter le coût des investissements. Car sans ces nouveaux modèles de financement, des projets d’infrastructures civiles pourtant indispensables pourraient ne jamais voir le jour.
Si, comme le conclut le Rapport sur les villes dans le monde 2022 de l’ONU, « les villes sont là pour rester, et l'avenir de l'humanité est sans aucun doute urbain », il est impératif de mettre l’humain au cœur des réseaux de transport dont les villes dépendent. Il s’agit donc d’agir en responsabilité pour concevoir des infrastructures qui prennent en considération l’expérience usager et s’attachent à l’améliorer, avec l’objectif de proposer des transports publics que l’on emprunte avec plaisir, plutôt qu’à contrecœur.
Pour y parvenir, il n’existe évidemment pas de formule magique : en matière de mobilité, les perceptions de chacun sont éminemment complexes et subjectives. Mais il est clair que le succès de ces infrastructures dépendra de la capacité des concepteurs à garantir une mobilité plus sûre, accessible et agréable.
Comme observé à l’inauguration de la ligne Elizabeth, cette réflexion est justement au cœur de l’architecture publique « soigneusement étudiée » qui a été proposée pour ce projet. Les couloirs double-hauteur ont notamment permis d’aménager des espaces généreux et accueillants, qui assurent la fluidité des flux de passagers.
En outre, et de façon plus subtile, le travail sur les parcours intuitifs et sur l’éclairage, pensé pour les besoins de l’usager, contribue à instaurer une impression de calme, en total décalage avec l’aménagement de nombreux réseaux de transports souterrains urbains. La ligne Elizabeth a également démontré que l’intégration d’œuvres d’art dans les lieux publics permet de franchir une nouvelle étape vers une architecture de l’expérience, avec des halls de transition transformés en espaces où l’usager est convié à s’arrêter et à réfléchir aux cycles de notre vie quotidienne.
Il est évident que les systèmes de transport ont la capacité de relier les gens, de créer des opportunités économiques et d’embellir notre mobilité au quotidien. Or, il existe déjà des mécanismes et des approches reconnus qui peuvent assurer la pleine réalisation de ce potentiel : notamment le suivi de création de valeur sociale, divers modèles sophistiqués de financement qui bénéficient aux secteurs public comme privé ainsi que le design expérientiel, qui transcende la vocation première du transport à relier un point A à un point B.
Plus nous agissons pour honorer cette responsabilité, plus nos villes seront résilientes, équitables et durables. « Le transport public n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen pour les citoyens d’avoir accès aux ressources dont ils ont besoin : emplois, lieux de commerce, interactions sociales, éducation, et tout un éventail d’autres services et équipements qui contribuent à une vie saine et bien remplie ».
*Cet article a été initialement publié en anglais par Building Design le 27 janvier 2023.